Des
Aveyronnais dans la Pampa
Christian Triadou
De
tout temps l’Aveyron a été une terre de migration et d’émigration.
Celle-ci se faisait préférentiellement vers le Midi languedocien. La
fin du XIX° siècle connaissant un pic de peuplement (415 826
habitants recensés en 1886), la vie rurale dans notre belle province
du Rouergue devenait de plus en plus difficile. La vallée du Lot, qui
était certainement la partie la plus peuplée, cultivait depuis
toujours la vigne. En effet, elle fournissait en vin et ceci depuis
des siècles la proche Auvergne. Faites une ballade du côté de
Sébrazac, St Pierre de Bessuéjouls, Espalion, St Côme d’Olt entre
autres et vous verrez ces milliers de terrasses désertées où la sueur
et le sang ont forgé le caractère si typique du Rouergat.
Nous
étions et resterons toujours des descendants des costovins (ceux qui
habitent les côtes du vin) ou coustoubis comme disait mon père. Cette
vigne, véritable manne, faisait vivre des familles entières. Il a
fallu qu’un petit insecte, un puceron ‘importé’ d’Amérique et nommé
phylloxera déclenche une situation qui devient alors irréversible. Il
n’a fallu qu’une pincée d’années à cet insecte parasite pour détruire
toutes les vignes et ravager ainsi la grande vallée du Lot. Notre
province étant devenue exsangue, les mamelles de l’Aveyron ne
pouvaient plus nourrir ses nombreuses familles. Reste alors le vieux
réflexe multiséculaire : émigrer vers des contrées riches et
accueillantes. Sans formation mais courageux, nos aveyronnais partent
vers Paris et débutent comme homme de peine, portefaix, manœuvre,
cocher de fiacre, porteur d’eau, livreur de charbon. Ainsi débute la
remarquable épopée de la saga des limonadiers rouergats de Paris. La
capitale, en près de deux décennies voit arriver près de 50000
rouergats. Cet exode rural verra aussi beaucoup de nos compatriotes
partir vers le Sud. Très peu s’installe à l’étranger hormis quelques
décazevillois partis pour la Californie.
A
l’époque, peu de candidats à l’émigration songent aux potentialités
offertes par un grand nombre de pays d’Amérique du Sud, notamment
l’Argentine pratiquant une active politique d’immigration. Une jeune
république gouverne à Buenos Aires tandis que les indiens patagons et
aucans règnent sans partage sur ce qui reste pour peu de temps le
désert ou la pampa.
Là-bas,
tout reste à faire, la pampa ne demande qu’à accueillir des bras
vaillants et les riches terres à porter de somptueuses récoltes.
Par un
curieux concours de circonstances, un Aveyronnais de la vallée du Lot,
un certain Clément Cabanettes, originaire du hameau d’Ambec près de St
Côme d’Olt, fait unique dans notre histoire nationale et provinciale,
crée la seule colonie française et à dominante aveyronnaise de
l’hémisphère Sud.
Cela se
passe un 4 décembre 1884, à Pigüe, province de Buenos Aires,
République d’Argentine.
Achetant près de 27000 ha de terre vierge, récemment conquises sur les
indiens, notre aveyronnais, un rien baroudeur, pressent que ces terres
peuvent devenir pour des aveyronnais un vrai eldorado. Il envoie
alors, en émissaire en Aveyron, son compatriote et ami François Yssaly,
originaire de St Félix de Lunel, qui commence une véritable campagne
de recrutement qui serait longue à raconter tant les suspicions,
déboires administratifs entre autres ont freiné cette démarche
inédite. Grâce à des camarades d’école comme François Gay de Tholet,
et de nombreuses publications dans les journaux de l’époque tel que
l’Aveyron républicain, le résultat ne se fait pas attendre. Et
comme l’écrivait Cabanettes, « nos bons
agriculteurs aveyronnais vont s’extasier devant la beauté de la terre
que nous allons leur donner ».
Ainsi,
le 25 octobre 1884, 160 personnes dont 40 enfants formant ainsi un
noyau de 40 familles embarquent à Bordeaux à bord du Belgrano pour
une traversée de 38 jours qui sera pour la plupart la dernière.
Le 4
décembre 1884, notre petite communauté s’installait dans ce qui
semblait être le ‘paradis’. Au contraire, nos pionniers, contraints
pour la plupart de dormir sur leur terre promise dans des abris de
fortune (trous dans le sol couvert d’une tôle), connurent des débuts
très difficiles. Il faut lire les divers documents relatant cette
aventure pour en comprendre toutes les difficultés engendrées :
création de puits, construction de maisons, premières récoltes
désastreuses, inversion des saisons etc…
Heureusement, la solidarité aveyronnaise a fait le reste. Si certains
aveyronnais sont revenus vers la mère patrie, la plupart sont restés
et ont été rejoints par des compatriotes mais aussi diverses
nationalités dont des espagnols, italiens, allemands et bien sur des
argentins.
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PIGUE
La
cité de Pigüe dont le nom est un dérivé indien PI HUE vocable qui
signifie en indien Pi (parler) HUE (lieu) fait partie de la province
de Buenos Aires.
Pour
l’histoire, il est quand même intéressant de savoir qu’en février
1852, le long du ruisseau de PIGUE s’est déroulée une bataille
sanglante qui porte ce nom. Le colonel Nicolas Granada alignant 1500
lances met en déroute les tribus indiennes du nom de CACAIQUE
CALVUCERO dont le nom signifie ‘Pierre Bleue’.
L’invasion de la pampa commence et de nombreuses batailles entre les
troupes du général Roca et les derniers indiens autochtones émaillent
cette période sanglante où la jeune république argentine émerge.
Les
luttes tenaces et cruelles contre les indiens libèrent ainsi des
millions d’hectares qui ne demandent qu’à être exploités. Pigüe,
d’abord petit village, devient grâce à nos aveyronnais une cité où
église, écoles, artisans, commerces, coopératives lui donne une
connotation de chef lieu d’une région formée d’immenses estancias
(ferme de plusieurs centaines d’hectares) dont une grande partie est
gérée à ce jour par des descendants d’aveyronnais.
Si le
Français et le patois ne sont plus parlés car remplacés par la langue
nationale, il n’en demeure pas moins que les racines rouergates sont
toujours là. L’association Aveyron–Pigüe basée à St Côme d’Olt et
l’alliance française à Pigüe continuent à promouvoir les relations
culturelles, linguistiques, échanges, retrouvailles etc….
C’est
une réalité : Pigüe, petite ville de 13000 habitants a été fondée par
des aveyronnais. Aujourd’hui, plus d’un tiers de la population a des
racines aveyronnaises.
Et
comme je l’ai déjà cité, Pigüe est la seule ville et région
administrative hors de France fondée par des Aveyronnais.
Même
si les habitants de Pigüe sont avant tout argentins et fiers de leur
pays et de leur drapeau, l’accueil qu’ils réservent aux aveyronnais
démontre leur attachement à leur ‘Rouergue’ où sont nés leurs
ancêtres et où ils possèdent de nombreux cousins.
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Les Triadou en Argentine
Félix Triadou
(né à Buzeins en 1875) se maria à Pigüe en 1902 avec Hélène Valentin
originaire du Bez de Canet commune de St Laurent d’Olt, ils eurent
cinq enfants :
Luis
(décédé en 1977) marié à Laura Castagnola, parents de Marlène
et Esther qui sont les seules personnes en Argentine à porter
encore le nom de Triadou.
Juana décédée en 2003
célibataire Enrique décédé en 1987
célibataire
Rosa décédée en 1970 célibataire
Maria mariée avec Elia Francès (trois enfants)
Joseph Triadou
(le frère de Félix) et son épouse Victorine Guitard (mariés en 1898 à
Buzeins juste avant leur départ) eurent une fille : Maria Luisa
(1903-1989) qui se maria avec Santiago Bousquet, ils vécurent à Puan
une ville proche de Pigüe.
Les Triadou de Buzeins
Félix Triadou (1875-1945) et Joseph Triadou (1865-1923)
les deux frères qui émigrèrent en Argentine sont nés à Buzeins de
Joseph Triadou et Marion Chayrigués, dans une fratrie de 8 enfants
(cinq garçons et trois filles). Leur père naquit à Malescombes
commune de Ste Eulalie d’Olt où sa famille était établie depuis 3
générations.
En remontant dans le temps on trouve cette lignée de
Triadou à Cruéjouls à partir de 1712 (date du mariage de Jean Triadou
et Marianne Conte), aux Escabrins paroisse de Barriac prés de Bozouls
à partir de 1661, année où Guillaume Triadou (père du précédent,
originaire des Solières paroisse de St Pierre de Bessuéjouls) vint
s’établir par son mariage avec Anne Laquerbe.
Il est à noter que les Solières sont situées à 300 m à peine des
Astruges, il est plus que vraisemblable que cette lignée soit
originaire de ce lieu.
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